16 août 2007

A propos de "Marcel Duchamp", biographie par Judith Housez



Grâce à Pascale, une amie chère qui pense doublement bien, je fus invitée cet été à la Poste pour retirer, un colis surprise (= quel délice !) : les 2 biographies de Duchamp qui viennent de paraître ! Parfait timing pour contrebalancer les effets lénifiants du soleil, de la beauté du paysage et des conversations de plage ! Dès lors, en ce mois d'août je l'emportais partout avec moi, déclenchant à chaque fois des remarques tranchées : "Pfff Duchamp, quel fainéant, et pis sa pissotière, je vois pas l'intérêt". "Aaaahh, Duchamp, le plus grand artiste du XX ème siécle, tu me le prêteras quand tu auras fini", etc . Dernièrement en dinant avec Tamim et Pato, rebelotte : sauf que le débat s'était heureusement élévé et fut passionné. Néanmoins cela finit de me convaincre que Duchamp continue de déranger et d'être un sujet de polémique 80 ans après , et qu'à ce titre c'était un parfait sujet de blog. Donc cher Tamim, et vous cher lecteur : j'attends vos remarques avec impatience ;o)
Qu'ai je retenu de cette biographie contenant quelques redites, mais très bien documentée et agréablement écrite ?

- qu'à l'inverse d'un père fin et protecteur, sa mère était sourde et distante avec lui, qu'il communiquait peu avec elle et essentiellement par des signes et des notes. Faut il y voir un lien ? Il choisit les arts visuels (comme ses 2 frères peintre et sculpteur Villon et Duchamp Villon) et restera toute sa vie durant très attaché au système de griffonage de notes sur tout support.

- que lui ,le fils de notaire de province, a su être là où ca se passait au moment où il fallait, qu'il est un des rares artistes français de son époque à avoir voyagé, même si c'était davantage pour quitter Paris que pour aller à New York. Il a d'ailleurs aidé NYC à quitter son statut de ville "provinciale" pour passer à celle de capitale de l'art, reléguant Paris à la périphérie.
Alors que sa toile "Nu descendant l'escalier " passa relativement inaperçue au Salon d'Automne à Paris qui en voit d'autres avec les cubistes et les futuristes, elle déclenchera à son insu un veritable scandale au premier Armory Show de New York, et le rendra immédiatement célébre. Nous sommes en 1913. Pour cette oeuvre, il puise son inspiration dans les sciences , l'anatomie, notamment le mouvement decomposé et photographié par Etienne Jules Marey et non pas, malgré les apparences, dans d'autres courants picturaux comme le futurisme ou le cubisme. Il doit d'ailleurs davantage le succès américain au titre provocateur à lègère connotation érotique que par la forme même de son tableau qui à l'inverse, est lui totalement dénué de sensualité. Provocation, Désir, Titres (Gratuité du Mot ) : déjà l'univers duchampien se met en place.

- En excellent stratége, il gérera ses oeuvres comme un excellent joueur d'échec. Il comprend très tôt comment s'entourer et séduire la presse et les leaders d'opinion.
- En 1913 il se posait déjà la question "Peut on faire une oeuvre qui ne soit pas d'art ?"
Il y répondra notamment en inventant les Ready Made, mais sa grande invention sera de les faire connaître , accepter et durer dans le monde de l'Art, alors qu'ils auraient pu seulement être une plaisanterie ephémère car concue comme telle au départ.
Pour le Salon des artistes Indépendants à New York en 1917, il acheta un urinoir à dos plat chez JL Mott Iron Works Company, appela son objet canular "Fountain" (encore une allusion au sexe feminin), il signa en bas à droite R. Mutt 1917, parce que mutt signifie aussi cucul la praline. Le conseil des organisateurs du salon se réunit , et malgré le principe édicté "ni jury, ni prix" et après débats, refusa la pièce car jugea l'envoi "immoral et vulgaire". Le succès de scandale était garanti. Il reprit la rumeur en signant un article mais sous le nom de Louise Norton."Que Monsieur Mutt ait fabriqué ou non de ses mains la fontaine n'a pas d'importance. Il l'a choisie. Il a pris un objet courant et l'a placé de telle sorte que sa signification habituelle disparaisse sous un nouveau titre et son point de vue-créant ainsi une nouvelle perception de cet objet."
En 1917, seule l'avant- garde connaissait l'existence de "Fountain" aux Etats Unis et aussi en Europe, grace à des publications, où photographiée par Man Ray (!) elle était parfois reproduite. En 2001 , un réeditation sera vendue 1,9 Millions de dollars chez Sothebys.

Au delà de la valorisation de "Fountain" , Duchamp a su créer la modernité, cependant il reste un homme de son temps, celui des inventions, du goût pour les farces et les contrepetries. Aussi je préfére le qualifier de dandy inventeur, davantage que d'artiste. Il reste aujourd'hui encore un grand rafraichisseur d'idées surtout par rapport à notre époque tellement coincée et politically correct.
Il avait rencontré Wharol à la demande de ce dernier et avait reconnu parmi les premiers son immense talent. Le jeune dandy choisissait également des "beautés d'indifférence" pour ses sérigraphies, des objets de tous les jours, mais avec le phénomène de répétition en plus. Lui aussi déléguerait la fabrication de ses toiles à son atelier, la main de l'artiste n'étant là encore pas indispensable à la qualification de l'oeuvre en art. Sa source d'inspiration serait la société de consommation, et non plus la société industrielle, chacun son époque.
Ainsi , cher Tamim, Duchamp ne brisa pas pour les générations futures, l'objet peinture, ou le dialogue avec la peinture. Il ouvrit une nouvelle voie, ou plutôt la poussa à son paroxysme : celle où c'est le spectateur qui fait le tableau. Renversement des pouvoirs, tellement d'actualité ! Il refusa celui auratique de la peinture, de sa présence, de son immanence, et c'est certainement pour cela que tu lui en veux ? Il préféra faire du musée non plus le lieu de l'adoration des idoles, mais en quelque sorte un nouveau terrain d'expérimentation. (On sait par ailleurs que Duchamp avait lu des livres sur le bouddhisme quand il travaillait à la bibilothèque St Geneviève.)
En utilisant le verre et le miroir dans ses oeuvres, il a également inspiré de nombreux artistes, comme le sculpteur Tony Smith ou Pistoletto : son Grand Verre annoncant les sculptures pouvant devenir l'accessoire d'une scénographie où le corps du spectateur est partie prenante de l'oeuvre, donnant ainsi à l'homme la conscience d'exister.